Lien direct vers l'article : http://www.bayrou.fr/evenements/download/commentairen119-Bayrou_.pdfRésumé : Dans la revue politique Commentaire, fondée par Raymond Aron, François Bayrou définit les 4 principes sur lesquels se construira le projet Démocrate, en "contraste" avec les projets socialiste et néo-conservateur / néo-bonapartiste : une nouvelle conception du citoyen, désormais décideur ; la séparation des pouvoirs, au sein du politique et entre politique et économico-médiatique ; la redéfinition de l’État pour rendre son autonomie à la société française ; le combat européen et mondial contre le modèle néo-capitaliste d’inégalités croissantes. Une convictionFrançois Bayrou considère que "l’option néo-conservatrice ou l’option archéo-socialiste" sont "promises à l’échec", tandis que seul le projet Démocrate pourra répondre aux attentes de la société.
C’est possible !François Bayrou considère que cette option démocrate peut s’imposer en France même sans changement institutionnel, grâce à la prééminence de l’élection présidentielle et à la concomitance immédiate des élections législatives. "Si un président démocrate avait en effet été élu, une vague orange se serait imposée aux élections législatives, une majorité nouvelle serait sortie des urnes et l’impossible d’hier se serait à l’instant révélé possible."
Du "centre" au projet démocrate"Il faut sortir de la seule désignation géographique (le centre) et nommer ce projet, non pas en référence à ses concurrents de droite et de gauche, mais lui donner son véritable nom, démocratie, lui rendre ses racines dans la grande famille démocrate qui va nécessairement s’organiser dans le monde en concurrence avec les néo-conservateurs et avec l’internationale socialiste."
La "droite" a changé de nature"Cette confrontation est d’autant plus rude, d’autant plus marquée et d’autant plus nécessaire que la "droite" a changé de nature au cours de la dernière séquence. Nicolas Sarkozy a conduit à son terme le projet de ’décomplexer’ une certaine droite française en lui proposant un métissage inédit entre néo-bonapartisme, pour le mode de gouvernement, et néo-conservatisme, pour le projet de société."
Les 4 piliers du projet démocrate : A) Exigence civiqueIl s’agit de refuser une "intervention électorale épisodique, signature de chèque en blanc à des gouvernants dont le seul engagement est de revenir devant le suffrage universel à intervalle réguliers", et de promouvoir "une politique de vérité, d’éducation civique générale, d’information et de formation, destinée à porter le citoyen au niveau d’un décideur".
Ce sera un "combat âpre, sans doute de longue durée, tant sont puissants les intérêts qui veulent le contrôle politique absolu de la société", mais "deux impératifs rendent à mon sens certaine son issue".
Impératif d’
efficacité : "en démocratie télévisuelle, comme nous sommes, les grandes évolutions de la société ne peuvent être que consenties. Cela vient en particulier de ce que la manifestation massive, le refus des citoyens, les incidents qui les accompagnent, ne sont pas supportables dès l’instant qu’ils se trouvent photographiés et filmés. Si le pays, massivement, n’accepte pas une réforme, il a tous les moyens de lui opposer son veto. Or ce consentement de l’opinion ne peut être acquis que par une maturation conduisant à une adhésion ou au moins à une abstention bienveillante des citoyens. En démocratie représentative, ce consentement ne peut se construire que sur la confiance des citoyens à l’égard des gouvernants."
Impératif de
transparence : "la confiance ne peut s’obtenir durablement si les gouvernants ne font pas partager de manière transparente leurs raisons, tenants et aboutissants aux citoyens attentifs …."
"C’est ainsi que seront à terme durement jugés par les citoyens les pouvoirs dont la conquête a été fondée sur la multiplication de promesses intenables, que la réalité sera venue cruellement démentir…. "
Or "
Internet a ouvert à tous les citoyens les portes et les coffres des bibliothèques …, des think tanks". Ainsi, "la grande aspiration de l’humanité à l’information ne sera plus jamais bornée….. Ces citoyens aux yeux ouverts ne se laisseront priver d’information sur aucun des grands choix qui gouvernent leur vie."
"Ainsi la démocratie n’est pas seulement un idéal, un horizon pour utopistes, elle est désormais une nécessité."
B) Séparation des pouvoirs"Pour protéger le citoyen de l’arbitraire, … il faut que le pouvoir … protège aussi contre le pouvoir. D’où la profondeur et la justesse de l’idée libérale de séparation du pouvoir en son sein."
Mais "parmi les sociétés contemporaines qui se réclament de la démocratie …, la France est celle où l’idée de séparation des pouvoirs est le moins respectée :
Mépris pour le principe de juste représentation des citoyens : seuls les mouvements d’opinion majoritaires sont représentés au parlement.
Sujétion de la représentation nationale par rapport à l’exécutif : le droit du citoyen à voir en son nom organiser le débat, assurer le contrôle de l’action publique, … tous ces droits sont abandonnés dès l’instant que leur exercice ne correspond pas aux intérêts ou aux préférences de la majorité ou de l’opposition officielles.
Influence sur la justice par tous les jeux de nominations, de carrière, de récompenses, de mise en réseau de l’autorité judiciaire …
Intimité entre l’Etat et le monde de l’économie, … véritable sport national. … Le mouvement de concentration dans les médias … dépendant de groupes industriels liés à l’État ou … simplement connivents avec eux … sous l’influence de l’achat d’espaces publicitaires … devient une lourde préoccupation."
Il ne s’agit donc" pas seulement d’accomplir la séparation des pouvoirs définie au XVIIIe siècle …, mais d’en inventer une autre [qui distingue] le politique, l’économique et le médiatique."
Propositions "Réforme de la loi électorale" (une part de proportionnelle) pour une représentation parlementaire "honnête" des citoyens, et assurer l’indépendance du Parlement "par rapport à l’exécutif".
Restaurer le "Parlement dans ses droits élémentaires, le premier d’entre eux étant de décider lui-même de son ordre du jour".
"Une organisation de la justice qui garantisse son indépendance, … y compris matérielle."
"Inscription dans la Constitution du principe de pluralisme, notamment dans le monde des médias, qui les séparera des groupes entreprenant commerce avec l’Etat [et] imposera une limite aux concentrations abusives".
C) Une conception différente de l’État.L’État thaumaturge"La société française a un problème avec son État. La France s’est construite autour de son État. Et en retour elle a donné à son État des prérogatives, des compétences, des privilèges plus importants qu’aucun autre pays non totalitaire au monde."
Le "recours universel à un État thaumaturge a stérilisé en partie la société française", "les autres recours possibles ne se sont pas constitués … Les réseaux naturels de la vie d’une société équilibrée, les entreprises, les coopératives, les mutuelles, les fondations, les associations, les universités se sont peu ou mal construits. Tout le pays s’est branché sur l’État :
Collectivités locales dépendant de jour en jour davantage des dotations de l’État,
Entreprises redevables de milliards de compensations de charges pour les 35 heures,
… Familles dépendant de l’allocation de rentrée scolaire,
… Salariés du privé qui désormais reçoivent leur treizième mois de l’État sous forme de prime pour l’emploi."
La drogue centralisatrice"Dans un monde où … l’adaptation est une condition de survie, la pertinence des choix …, la justesse de ces choix, leur rapidité, …. ne peuvent pas s’accommoder de cette obsession centralisatrice. … Le recours à un décideur unique et universel est à la fois un anachronisme et une entreprise de stérilisation."
"Qu’en 2007 en France on ait pris ce chemin de régression restera pour moins un [des] bugs historiques.
Le projet démocrate est porteur d’une redéfinition de l’État" pour "répandre dans la société … la capacité d’action et la légitimité de la décision".
D) Le modèle néo-capitaliste planétaire d’inégalité croissanteBiens matériels et biens supérieurs"Ce qui a triomphé, à la surface de la planète, c’est non pas le libéralisme stricto sensu mais le principe d’inégalité croissante. L’inégalité croissante a été acceptée et choisie … à partir du succès économique américain, comme moteur du développement des sociétés. Il est vrai que ce moteur a été, dans l’ordre matériel, infiniment puissant, … interdisant progressivement toute redistribution par l’effacement des frontières, notamment fiscales, proscrivant cette redistribution … puisque rien n’est plus facile aux riches que de changer de pays" …
Pour François Bayrou "ce principe [d’] inégalité croissante … heurte les valeurs fondamentales de notre civilisation".
"Quand la réussite personnelle se mesure seulement à l’aune de la réussite matérielle et financière, la société a changé de nature. Pour dire vrai, elle n’est plus société, association, vie en compagnonnage, elle devient collection de solitudes et de compétitions individuelles."
"Dans la hiérarchie des valeurs démocratiques, les valeurs matérielles sont considérées comme nécessaires, mais les valeurs naturelles, intellectuelles, culturelles, morales, spirituelles doivent être considérées comme supérieures : cette distinction entre biens nécessaires et biens supérieurs … différencie le projet démocratique des autres projets."
"Parmi ces biens supérieurs, il faut désormais inscrire en première ligne la défense de la vie, de son cadre climatique … L’économique ne devrait pas pouvoir se définir en dehors de l’écologique, comme il ne devrait pas pouvoir se définir en dehors du social, tant le principe de responsabilité devrait être reconnu comme déterminant."
"La défense et la promotion d’un tel projet sont en résistance à l’ordre naturel des choses, [aux] rapports de force. Seule la capacité politique peut, en ressaisissant le volant, faire dévier le rouleau compresseur …"
Fédérer l’Europe, pour le monde" ’Ressaisir le volant’, voilà bien la question civique. Devant les mouvements immenses qui habitent l’univers, États géants, … hyperpuissances politiques avérées ou en cours d’avènement, des États-Unis à la Chine en passant par l’Inde ou la Russie restaurée, puissances financières, puissances médiatiques, puissances d’influence, lobbies déclarés ou implicites, organisations criminelles pour qui le blanchiment d’argent est la condition même de leur existence, le jeu politique dans une nation d’importance moyenne court le double risque de l’impuissance et de la gesticulation.
Faute de moyens d’action véritable, il semble n’exister que deux voies : l’alignement, plus ou moins volontaire, sur le modèle dominant ou le faire semblant.
Pour les citoyens qui ne se résignent ni à l’un ni à l’autre, l’urgence est de construire les instruments d’une action politique capable d’imposer et non de subir l’ordre du monde."
"Si l’on veut sortir des pratiques de dumping fiscal, il faut un
instrument politique capable d’imposer des règles de fiscalité sur un grand ensemble politique et non plus seulement État par État.
De même, l’urgence devrait être depuis longtemps au refus des pratiques de pseudo-Etats off shore. … Seule une entente des acteurs politiques de premier plan pourra prendre les décisions simples (par exemple, … considérer nuls … les contrats … signés off shore) qui forceront ces ’pays’ à respecter un minimun de règles de droit universelles.
De même toute réflexion sur la politique de change … impose que siègent autour de la table des décideurs politiques de poids comparables …
Pour les États moyens, … comme la France, la capacité de peser sur … ces grandes questions dont dépend … notre avenir national nous impose de
construire une puissance politique internationale en nous fédérant, pour l’action sur l’essentiel, avec nos homologues européens."
[La] "fédération des nations moyennes permettra seule la construction d’un monde équilibré, où les grands enjeux politiques pourront enfin être abordés par le concert des nations. Cet impératif concerne l’Europe aujourd’hui : mais … l’Amérique du Sud, l’Afrique, le Sud-Est asiatique seront tôt ou tard … concernés".
Conclusion : Contrastes"À l’énoncé de ces quatre discriminants, on prend la mesure du caractère original, cohérent et inassimilable du projet démocrate."
"Le projet démocrate est … en
opposition avec le projet néo-bonapartiste et néo-conservateur sur plusieurs plans.
Le néoconservatisme considère l’opinion comme une masse à séduire, en mobilisant le cynisme des spins doctors, et tous ses zélateurs applaudissent lorsqu’on a réussi à mobiliser les réflexes qui la mettent en mouvement. Le mouvement démocratique la regarde comme un lieu de conscience en qui il convient d’investir de la confiance et de l’éducation.
Le néo-conservatisme regarde les impératifs économiques et financiers comme premiers, considérant qu’il y a, dans le monde, des affaires à faire et que ces intérêts priment sur toute autre considération (’la Libye a de gros besoins et les moyens de se les payer’, Nicolas Sarkozy)."
"Le projet démocrate est … en
opposition avec le projet socialiste.
C’est vrai d’abord sur la place de l’État et l’assimilation de l’État à la fonction publique. Pendant la récente campagne de Ségolène Royal, ce ne furent pas moins de cinq services publics nouveaux qui furent appelés à être créés … Le projet socialiste semble considérer comme un bienfait l’augmentation sans limite du nombre des fonctionnaires. … De la même inspiration, la volonté d’intervention de l’Etat dans les décisions de gestion interne des entreprises (création de taxes de pénalisation en cas de licenciement, ou de recours au CDD). …
Cette opposition se lit enfin dans le refus idéologique du réel qu’a dénoncé elle-même après la campagne la candidate du Parti socialiste en reniant les propositions que son parti l’avait ’obligée’ à porter en matière de 35 heures ou de salaire minimum."
"Devons-nous renoncer à défendre notre projet, le dégrader au rang de variante de l’un ou de l’autre des deux projets concurrents, ou devons-nous le défendre, le préciser, le promouvoir dans le débat démocratique, le proposer au peuple citoyen ?
La réponse ne souffre pas d’hésitation, dès lors que nous considérons que nous ne sommes pas nés pour subir le monde mais pour le façonner, pour l’ordonner et pour le changer."