Bayrou: "Le réveil est douloureux"
Dimanche 23 Septembre 2007
Propos par Virginie LE GUAY
Le Journal du Dimanche
Après les déclarations de François Fillon, François Bayrou n'épargne pas la politique gouvernementale et pointe les "promesses dispendieuses" de Nicolas sarkozy. En ligne de mire du centriste, le "paquet fiscal" qui selon lui aggrave une situation qui était déjà très grave et qu'il n'avait cessé de dénoncer durant la campagne présidentielle.
Comment jugez-vous les propos de François Fillon sur la "faillite" de la France?
Que le Premier ministre ait attendu quatre mois pour employer un mot aussi fort, alors que lui et Nicolas Sarkozy étaient membres de la majorité et du gouvernement depuis 2002, qu'ils ne pouvaient rien ignorer de la situation, est un premier choc. Mais il y en a un deuxième, plus grave! Loin d'oeuvrer au redressement, la politique suivie depuis quatre mois a aggravé le déficit et la dette. Exactement l'inverse de ce que la situation exigeait. C'est d'autant plus troublant que, pour la première fois de notre histoire et en partie grâce à la campagne présidentielle que j'ai menée, les Français avaient pris conscience de la gravité de la situation. Ils étaient prêts à l'effort. Au lieu de mettre en place, tout de suite, cette politique sérieuse, Nicolas Sarkozy et son gouvernement se sont lancés dans une politique laxiste de dépenses inconsidérées. On a gaspillé l'argent qu'on n'avait pas.
Vous faites allusion au "paquet fiscal"?
Le paquet fiscal avoisine les 15 milliards d'euros de dépenses supplémentaires chaque année. Soit une augmentation de 40% au minimum de notre déficit. Et tout cela pour faire des cadeaux aux Français les plus favorisés, ceux qui bénéficiaient déjà d'une situation confortable. Ce gâchis va rendre encore plus lourds les efforts des Français. Tout le monde devra être mis à contribution. Et ne parlons pas du sentiment d'injustice que vont éprouver ceux qui vont être sollicités plus durement parce que ceux qui avaient déjà beaucoup ont reçu encore plus.
Le redressement des finances publiques a été un leitmotiv de votre campagne électorale...
Je n'ai cessé de prôner la nécessité d'une politique de redressement, mais je n'étais pas le seul! Le rapport de Michel Pébereau sur la dette préconisait explicitement de ne pas faire de cadeaux fiscaux dans cette période de redressement. C'est la raison pour laquelle la France s'est attiré la colère de ses partenaires européens. Il y a quelques jours, le ministre des Finances allemand, M. Steinbrück, a repris publiquement Nicolas Sarkozy sur le thème "vous avez décidé de faire des cadeaux à votre clientèle électorale et de ne pas tenir vos promesses européennes".
Mais il y avait les promesses de campagne de Nicolas Sarkozy...
La campagne électorale a été une surenchère continuelle de promesses, toutes plus dispendieuses. Faire croire aux Français qu'on avait les moyens d'accumuler les cadeaux, c'était un abus de confiance. Les promesses de Nicolas Sarkozy, et, pour être juste, celles de Ségolène Royal, se sont chiffrées par dizaines de milliards d'euros. Nicolas Sarkozy a fait croire au pays que "tout deviendrait possible" dès lors qu'on le choisirait. La réalité a rattrapé la fiction.
Croyez-vous que François Fillon s'exprimait en son seul nom ou avait-il l'aval de Nicolas Sarkozy?
Comme tous ceux qui gouvernent, François Fillon ne peut qu'être grandement préoccupé par la situation réelle du pays. Celle dont on ne parle pas officiellement. Il a sans doute laissé échapper les mots abrupts, cruels de la réalité. Mais Christine Lagarde avait, elle aussi, évoqué la préparation d'un "plan de rigueur". La politique suivie depuis le printemps repose sur l'idée qu'en faisant des cadeaux aux "locomotives économiques", on allait faire repartir le train. Aujourd'hui, on commence à voir que le rêve est loin de la réalité. La croissance n'est pas au rendez-vous, l'emploi s'est ralenti, on a plus de chômeurs que prévu... et on a dépensé comme si on avait des coffres-forts remplis. ça se paie un jour ou l'autre.
Est-ce le prélude à des mesures d'austérité?
Quand un Premier ministre dit: "Je suis à la tête d'un Etat en faillite", il ne faut pas s'attendre à des lendemains qui chantent. C'est une malédiction pour la France que, depuis des années, la majorité de la classe politique considère que la fin justifie les moyens et que pour être élu on peut raconter n'importe quoi. Aujourd'hui, le pays entre dans le dur. La période d'endormissement est terminée. Le réveil est douloureux.