Les syndicats de journalistes, rassemblés jeudi 4 octobre à Paris, ont fait part de leurs inquiétudes face à la multiplication des "pressions politiques et économiques", lors d'une soirée de débats qui a rassemblé environ 200 journalistes et lecteurs de la presse écrite. C'est peu au regard des 37 000 cartes de presse enregistrées, dont 8 000 pigistes et demandeurs d'emploi.
"Dans la vie des rédactions, les pressions se sont extrêmement banalisées, à tel point que les jeunes qui arrivent trouvent cela normal", a souligné Jean-François Téaldi (SNJ-CGT), journaliste à France 3, en ouverture de cette rencontre.
Réunis pour la première fois depuis quinze ans, cinq syndicats (SNJ, SNJ-CGT, USJ-CFDT, SJ-CFTC et SJ-FO) ont présenté des propositions pour qu'une loi garantisse l'indépendance juridique des rédactions. Le débat est lancé dans toutes les rédactions et auprès des citoyens, appelés à signer une pétition sur Internet.
Fin juin, le Forum des sociétés de journalistes (SDJ), créé il y a trois ans, qui rassemble vingt-sept SDJ de différents médias, avait déjà demandé à "rencontrer le plus rapidement possible le président de la République, Nicolas Sarkozy". La demande est restée sans réponse.
Droit de veto
Le Forum des SDJ souhaite qu'"une modernisation législative des textes encadrant les médias soit lancée", comprenant la reconnaissance juridique des SDJ et l'instauration d'un droit de veto, comme au Monde, donnant aux rédactions le pouvoir de s'opposer à la nomination d'un directeur de la rédaction ou de la publication. Le Forum rappelle que ces propositions "permettraient de garantir l'indépendance des rédactions sans interférer avec le pouvoir légitime des éditeurs".
"Les syndicats dénoncent l'accumulation de faits alarmants qui représentent une menace fondamentale pour l'indépendance et le pluralisme de l'information", indiquent-ils. La volonté de Bernard Arnault, patron de LVMH, de racheter Les Echos et de revendre La Tribune a été l'un des catalyseurs de cette inquiétude. Cette affaire traduit, selon le forum des SDJ, "le mépris qu'ont certains actionnaires de la valeur d'une entreprise de presse, des journalistes et de leur indépendance".
Nathalie Boisson (CFDT) a renchéri : "Personne ne peut nier que la presse est dans la tourmente. Lagardère intervient sur le contenu éditorial de ses titres. A France Télévisions, des émissions sont supprimées, comme "Arrêt sur images" sur France 5." Ont également été évoquées les tentatives de perquisition de plus en plus nombreuses dans les rédactions, règles contraires au droit européen sur la protection des sources.
"L'omniprésence de Nicolas Sarkozy dans les médias, et le manque de recul de certains ont aussi contribué à déclencher ce mouvement", explique Jean-François Téaldi. Ce frémissement a suscité une solidarité dans une profession réputée individualiste. La proximité de Nicolas Sarkozy avec de nombreux patrons de presse comme Martin Bouyghes (TF1), Arnaud Lagardère (Europe 1, Paris Match, Elle...), Bernard Arnault (La Tribune) et Vincent Bolloré (Direct soir, Matin Plus, Direct8) suscite des interrogations.
La Fédération européenne des journalistes (FEJ), qui représente environ 280 000 journalistes dans plus de 30 pays, a apporté son soutien au mouvement lancé par les syndicats, a assuré jeudi Marc Gruber, directeur à la FEJ. "Partout en Europe, les journalistes sont confrontés à des problèmes similaires : pressions économiques et politiques, marchandisation de l'information, autocensure, précarité, non-respect du principe de protection des sources...", rappelle la FEJ.
La fédération a appelé à une journée d'action commune intitulée "Stand up for journalism" ("Debout pour le journalisme"). Les syndicats s'associeront à ce mouvement et appellent les journalistes à une manifestation à Paris début novembre.
Dans ce contexte, les syndicats de journalistes souhaitent notamment que l'équipe rédactionnelle soit "obligatoirement consultée" sur tout changement de politique éditoriale lors de la nomination du responsable de la rédaction. Nomination à laquelle elle pourra s'opposer, le cas échéant.
Un code du travail récrit
Les syndicats ont déploré ne pas avoir été reçus par Christine Albanel, ministre de la culture, en dépit de plusieurs demandes. Mme Albanel a indiqué, le 26 septembre, "ne pas être entièrement convaincue de la nécessité d'une loi" sur l'indépendance des rédactions.
Ces menaces interviennent dans un contexte de "précarité galopante", ajoutent les syndicats. Ainsi, lors de la réécriture du code du travail, validée par ordonnance en mars 2007, le statut des journalistes, pilier de la profession, avait été attaqué. Le Sénat a récemment adopté un amendement restituant la version d'origine.
"Il reste à maintenir la pression pour que les députés fassent de même", a lancé jeudi Dominique Candille, secrétaire générale du SNJ-CGT. Les syndicats restent d'autant plus vigilants que les situations économiques des groupes de presse sont fragiles. Les réductions de coûts deviennent monnaie courante.
La réduction des moyens paupérise l'information et fragilise le métier. Les vérifications sont parfois insuffisantes, notamment sur le Net, où la vitesse prime.
"Nous avons besoin d'une presse plus forte qui joue son rôle de contre-pouvoir", a insisté Gilles Pouzin, de la CFTC. D'autant que, selon le baromètre La Croix-TNS Sofres, 63 % de Français doutent de l'indépendance des journalistes face aux pressions politiques et économiques.
"Nous n'avons plus le droit de dire ce qui va mal. Or la base de notre métier, c'est l'indignation. Nous ne devons pas faire des journaux qui sont des organes de communication", a renchéri François Malye, président du Forum des SDJ, vendredi 5 octobre, dans l'émission "J'ai mes sources", sur France Inter.